mercredi 21 novembre 2012

Cadavre Exquis

Je cherchais ce bouquin car il fait partie, pour moi, de ces livres que je relis et qui ont nourri mon parcours professionnel. Sauf que je ne l'avais pas ouvert depuis fort longtemps. En faisant rouler et défiler le bord des pages du bout de mes pouces, un papier plié en quatre s'en est échappé avec une date griffonnée au dos. Bond en arrière de dix-sept ans.
27.VI.95 (oui à l'époque, j'écrivais les mois à la romaine). Je sais déjà ce que c'est même si je n'en connais pas le contenu, les plis horizontaux successifs parlent pour eux. Et mes souvenirs s'imposent. 
Deux (jeunes) femmes et un (jeune) homme. Une fin de soirée tardive après avoir travaillé sur la maquette d'une obscure feuille de chou d'école. J'apprends à devenir ce que je ne serai pas : une éducatrice spécialisée distanciée et experte. Quelques bougies, des bières, une moquette un peu râpée, des cigarettes de toutes sortes aussi et une musique dont je ne me souviens plus. Lui, des yeux si bleus et son sourire toujours hésitant. Elle, partante, révoltée et si entière. Et moi...des cheveux en rideaux, l'incertitude rougissante des gauches embarrassées et le sentiment diffus d'une affirmation de soi. Et entre ces trois là qui se connaissent à peine finalement, des rires, des découvertes, l'élaboration d'un journal et des non-dits qui dureront le temps d'un diplôme. Nous aimions les jeux d'écriture et particulièrement celui du cadavre exquis.Tiens, un feutre a lâché pendant l'exercice.

Je ne vais pas vous dire qui a écrit quoi. J'ai juste utilisé trois typos différentes et respecté les sauts de lignes. Je n'en ai pas changé un seul mot (j'ai corrigé les fautes). Le redécouvrir m'a particulièrement ému.

mardi 6 novembre 2012

Mamans (2/2)

Je la sentais dans une certaine ambivalence avec le dispositif proposé mais cela restait flou. Elle voulait voir sa fille mais ne semblait pas vouloir engager la démarche. Cela trainait et Poussinnette était tellement en demande qu'il a même été décidé d'organiser une rencontre entre elle et sa mère. Elles ne s'étaient pas vues depuis deux ans. Ça a demandé de la préparation, beaucoup. Et de poser certaines conditions : pas de fausses promesses, pas de dénigrement, pas de conte de fée.
Un jour, j'ai donc passé les portes et les sas de sécurité avec quatre pommes cramponnées à ma main. Dans ce centre de détention, au parloir famille, les murs sont colorés, il n'y a pas de barreaux aux fenêtres et le personnel pénitentiaire est souriant. Cela reste une prison avec ses procédures, sa sécurité serrée, ses trousseaux de clés et ses multiples portes. Chaque porte ne s'ouvre que lorsque la précédente a été refermée.

Elle était euphorique en repartant. D'autant que sa mère lui avait fait des cadeaux, avait acheté des bonbons, joué avec elle, pris des photos (oui, les détenues peuvent acheter certaines choses via le service pénitentiaire). Pour Poussinnette, sa « vraie maman » était juste géniale et parfaite. Elle, elle l'aimait, elle lui avait dit.

lundi 5 novembre 2012

Mamans (1/2)

« Tu comprends, j'ai deux mamans. Une maman de cœur et une maman de sang » - « Ah oui ? Deux mamans ?! » - « Ma vraie maman, enfin tu sais ma maman de sang, elle est ailleurs... Elle a fait une bêtise à Papa » - « Et tu as une fausse maman alors ? » je la regarde en souriant à demi. Ce qu'elle me raconte je le sais déjà ou plutôt, je connais sa situation au travers des mots et des rapports des adultes. Elle me regarde presque indignée « mais ça existe pas une fausse maman ! C'est ma maman là » et elle pointe son cœur avec son petit doigt.

Un papa, deux mamans, deux sœurs et une vie déjà bien marquée du haut de ses quatre pommes et cinq années.
Elle a connu l'errance de ses parents puis une famille d'accueil qui l'a aidée à se structurer. Elle n'avait pas un an. Pendant qu'elle grandissait, sa mère a agressé, blessé son père à l'arme blanche et a été incarcérée.
Sa mère a commencé son parcours carcéral en maison d'arrêt puis en centre de détention après sa condamnation aux Assises. Une longue peine.
Son père a été SDF et a rompu tout lien pendant quelques mois puis a décidé de se battre. Il est remonté de son propre enfer, marche à marche jusqu'à être totalement réinséré. Il a rencontré une femme, elle même mère d'une petite fille. Ensemble, ils ont construit une vie qui a permis que Poussinnette vienne vivre avec eux. Et une petite sœur est née aussi. Une vie de famille recomposée, tranquille, assez équilibrée. Comme le papa pouvait me dire « je suis le plus heureux des hommes avec toutes mes petites femmes. Si seulement...si seulement Elle n'existait plus ». Elle, la génitrice, la mère biologique, la maman de sang. Elle qui l'avait marqué à vie, lui, et qui incarcérée loin avait demandé son transfert pour se rapprocher de sa fille. Elle dont Poussinnette n'a que peu de souvenirs et dont tous incluent des clés qui tournent, des portiques de sécurité et des portes qui se referment.

samedi 3 novembre 2012

Heure de pointe

C'est l'heure de pointe de ta vie et tu ne sais pas quoi en faire. Gauche, malhabile et embarrassée, tu ne sais pas quoi faire de toi.

Depuis toujours, tu ne sais pas où te mettre, comment te placer, quoi dire. Alors tu as appris les codes, les gestes, les sourires. Tu t'adaptes à l'instant et tu fais illusion, tu leur fais plaisir. Tu sais si bien faire que parfois tu ne sais plus où à moins que ça ne soit qui tu es. Tu es toi le temps de quelques mesures puis la cacophonie te fait te retirer.
Alors tu te rétractes loin en toi et tu respires. C'est une comme toi qui marche, rit, répond. Elle ne sait pas toujours quoi dire mais au moins elle y est. Toi, loin au dedans d'elle, tu te caches. Personne ne peut te trouver sauf à avoir un GPS dont tu n'as jamais donné les coordonnées.