jeudi 21 janvier 2016

Pôle Emploi emploie, me ploie, ploie

 
Ce matin, encore embrumée blottie sous la couette, j'ai écouté la chronique de Vincent Dedienne à propos de Pôle Emploi, sur France Inter.
Ma première réaction a été de rire, dans le registre du « rhooooooo huhuhu rhoooooo ha ha » mais le malaise a fini par s'installer.
Je ne vais pas fustiger Vincent Dedienne pour sa chronique : il nous relate son expérience d'intermittent du spectacle avec Pôle Emploi et, n'étant pas intermittente du spectacle à Paris qui plus est, je ne peux pas savoir comment cela se passe pour lui dans ses relations avec cette administration.

Pour autant, deux choses me font réagir. 

La première étant le coup de la collègue sur qui plus personne ne passe. Inutile, sexiste et méchant. Enfin de mon point de vue. Plus largement, tous les salariés de Pôle Emploi y sont décrits comme incompétents. A la fin de sa chronique, il utilise toutefois une image qui résume assez bien la situation en décrivant les agents de Pôle Emploi comme étant des arches de Noé sur lesquelles viennent se fracasser des vagues de fatigue et de détresse.
La seconde étant le fait d'assimiler l'organisation à ceux qui y travaillent. En d'autres mots : les agents de Pôle Emploi appliquent des directives et des textes qui ont été décidés au Parlement, dans les ministères et par des personnes qui n'ont probablement jamais mis les pieds dans une agence Pôle Emploi et qui ont encore moins été confrontées à ce que c'est d'être soit inscrit à Pôle Emploi soit  salarié dans cette administration. Les agent-e-s ne sont pas  l'organisation, ils y travaillent.

Je ne fais pas d'angélisme. Il y a des agents Pôle Emploi incompétents, qui s'en tamponnent le coquillard de la situation des chercheurs d'emploi (j’abhorre l'expression « demandeur d'emploi ») et qui ne se sentent pas concernés. Il y a également une grande partie des agents qui font ce boulot par choix. Ils veulent accompagner les personnes dans leur recherche d'emploi, ils veulent aider, ils veulent être utiles. Ils font du mieux qu'ils peuvent avec les moyens qu'on leur donne. Pour parler en langage psychologie du travail : les professionnels de la structure exercent leurs métiers et appliquent les prescriptions (= le travail, leurs missions) comme ils peuvent avec les moyens que l'organisation qui les emploie (donc prescriptrice) leur fournit. En langage de quand j'étais éduc', on leur demande d’écoper le Titanic à la petite cuillère.

Ces agents ont un certain nombre de missions. Pour exercer ces missions, ils ont des protocoles, des procédures et des outils. Pour passer du temps régulièrement à Pôle Emploi et voir à l'écran en direct les actions de ma conseillère, je ne sais pas comment ils font pour s'y retrouver. C'est d'une complexité affolante. Bref.
Donc ces agents se retrouvent dans une situation où les outils fournis sont peut-être efficaces pour 100 mais où on leur demande de les utiliser pour 3500 (j'utilise des chiffres au hasard mais c'est juste pour illustrer). Donc, ces professionnels se retrouvent à essayer de faire ce qu'ils ont à faire le mieux possible avec des moyens (outils, temps, nombre de personnels, formations) en peau de chagrin. Cela conduit à l'insatisfaction de mal faire son travail et c'est là que commence la souffrance au travail. Ils sont confrontés à ce que l'on appelle, dans le jargon, des conflits de critères, des conflits de valeur, des conflits éthiques. Ils sont empêchés dans leurs actions car n'ont pas les moyens pour agir correctement. Ils ne peuvent rien y faire car ils ne décident de rien de ce qui se passe au sein de l'organisation (les décideurs = les hauts gradés déconnectés du terrain, les politiques etc.).
Alors ils mettent en place, consciemment ou non, des stratégies de défense pour faire face à la réalité de terrain. Certains se blindent, ils collent à la prescription, font leurs heures et sont totalement déconnectés de leurs affects, de ce qu'ils ressentent. Certains essayent malgré tout de répondre aux demandes, encaissent, sont submergés et finissent pas être épuisés, démotivés voire en burn-out. D'autres font du mieux qu'ils peuvent avec les moyens qu'ils ont et arrivent à peu près à faire face. Dans tous les cas, ils se débrouillent comme ils peuvent avec ce qu'ils ressentent au travail et ce que ça leur fait.

Mon expérience de Pôle Emploi est ubuesque. Les procédures, les cases dans lesquelles je ne rentre pas, les conventions… Bref ma situation est un peu sac de nœuds. J'ai toujours eu en face des moi des agents à l'écoute, qui essayent/cherchent les réponses. Qui font leur boulot quoi. J'ai vu au fil des années dans mon agence, là-bas dans le Finistère, les sourires se ternir un peu, les épaules se voûter et surtout le turn-over s'installer.
Je suis régulièrement furax après Pôle Emploi. Je n'y comprends rien (mais eux non plus), j'y passe parfois un nombre d'heures insensées à rencontrer plusieurs conseillers dans le même après-midi. Mais je sais une chose, et c'est ce qui m'aide à ne jamais m'énerver après la personne que j'ai en face de moi : ils ne définissent ni la politique de l'organisation ni les procédures. Ils sont là pour accomplir des missions avec les outils qu'on veut bien leur donner. Ils sont, pour moi, un cas d'école de ce que j'apprends en formation depuis toutes ces années sur la souffrance au travail et les organisations de travail.Cela ne m'empêche pas d'être en colère, cela me permet juste de ne pas m'énerver. Surtout qu'en général ma colère est dirigée contre le système pas contre l'agent-e que j'ai en face de moi (bon, c'est arrivé deux fois que je fulmine mais j'avais une dame patronnesse paternalisante et condescendante en face de moi et ça, c'est insupportable).
En plus, ce qu'ils traversent aujourd'hui, je l'ai éprouvé lorsque j'étais éduc' sur le terrain à essayer d'écoper le Titanic à la petite cuillère ou à essayer de faire entrer 1l d'eau dans une bouteille de 50cl, car ce sont les analogies que nous utilisions.

Alors, je ne prétends pas me mettre à la place de Vincent Dedienne et de chaque chercheur d'emploi qui se retrouve à devoir être en lien avec Pôle Emploi. Je suis à ma place et c'est bien suffisant.
Mais seulement, avant de vous en prendre aux agents qui sont en face de vous, dites-vous qu'ils ne sont décisionnaires de pas grand-chose et que souvent, ils font du mieux qu'ils peuvent avec les moyens qu'ils ont. En plus aujourd'hui, c'est la journée du câlin alors...


Edit : et vive Twitter! Hélène me signale cette chronique de Nicole Ferroni un peu sur le même sujet et que je trouve truculente.

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