Ce matin, encore embrumée blottie sous la couette, j'ai écouté la chronique de Vincent Dedienne à propos de Pôle Emploi, sur France Inter.
Ma
première réaction a été de rire, dans le registre du « rhooooooo
huhuhu rhoooooo ha ha » mais le malaise a fini par s'installer.
Je
ne vais pas fustiger Vincent Dedienne pour sa chronique : il
nous relate son expérience d'intermittent du spectacle avec Pôle
Emploi et, n'étant pas intermittente du spectacle à Paris qui plus
est, je ne peux pas savoir comment cela se passe pour lui dans ses
relations avec cette administration.
Pour
autant, deux choses me font réagir.
La première étant le coup de
la collègue sur qui plus personne ne passe. Inutile, sexiste et
méchant. Enfin de mon point de vue. Plus largement, tous les
salariés de Pôle Emploi y sont décrits comme incompétents. A la
fin de sa chronique, il utilise toutefois une image qui résume assez
bien la situation en décrivant les agents de Pôle Emploi comme
étant des arches de Noé sur lesquelles viennent se fracasser des
vagues de fatigue et de détresse.
La
seconde étant le fait d'assimiler l'organisation à ceux qui y
travaillent. En d'autres mots : les agents de Pôle Emploi
appliquent des directives et des textes qui ont été décidés au
Parlement, dans les ministères et par des personnes qui n'ont
probablement jamais mis les pieds dans une agence Pôle Emploi et qui
ont encore moins été confrontées à ce que c'est d'être soit
inscrit à Pôle Emploi soit salarié dans cette
administration. Les agent-e-s ne sont pas l'organisation, ils y travaillent.
Je
ne fais pas d'angélisme. Il y a des agents Pôle Emploi
incompétents, qui s'en tamponnent le coquillard de la situation des
chercheurs d'emploi (j’abhorre l'expression « demandeur
d'emploi ») et qui ne se sentent pas concernés. Il y a
également une grande partie des agents qui font ce boulot par choix.
Ils veulent accompagner les personnes dans leur recherche d'emploi,
ils veulent aider, ils veulent être utiles. Ils font du mieux qu'ils
peuvent avec les moyens qu'on leur donne. Pour parler en langage
psychologie du travail : les professionnels de la structure
exercent leurs métiers et appliquent les prescriptions (= le
travail, leurs missions) comme ils peuvent avec les moyens que
l'organisation qui les emploie (donc prescriptrice) leur fournit. En
langage de quand j'étais éduc', on leur demande d’écoper le
Titanic à la petite cuillère.
Ces
agents ont un certain nombre de missions. Pour exercer ces missions,
ils ont des protocoles, des procédures et des outils. Pour passer du
temps régulièrement à Pôle Emploi et voir à l'écran en direct
les actions de ma conseillère, je ne sais pas comment ils font pour
s'y retrouver. C'est d'une complexité affolante. Bref.
Donc
ces agents se retrouvent dans une situation où les outils fournis
sont peut-être efficaces pour 100 mais où on leur demande de les
utiliser pour 3500 (j'utilise des chiffres au hasard mais c'est juste
pour illustrer). Donc, ces professionnels se retrouvent à essayer de
faire ce qu'ils ont à faire le mieux possible avec des moyens
(outils, temps, nombre de personnels, formations) en peau de chagrin.
Cela conduit à l'insatisfaction de mal faire son travail et c'est là
que commence la souffrance au travail. Ils sont confrontés à ce que
l'on appelle, dans le jargon, des conflits de critères, des conflits de
valeur, des conflits éthiques. Ils sont empêchés dans leurs actions
car n'ont pas les moyens pour agir correctement. Ils ne peuvent rien
y faire car ils ne décident de rien de ce qui se passe au sein de
l'organisation (les décideurs = les hauts gradés déconnectés du
terrain, les politiques etc.).
Alors
ils mettent en place, consciemment ou non, des stratégies de défense
pour faire face à la réalité de terrain. Certains se blindent, ils
collent à la prescription, font leurs heures et sont totalement
déconnectés de leurs affects, de ce qu'ils ressentent. Certains
essayent malgré tout de répondre aux demandes, encaissent, sont
submergés et finissent pas être épuisés, démotivés voire en
burn-out. D'autres font du mieux qu'ils peuvent avec les moyens
qu'ils ont et arrivent à peu près à faire face. Dans tous les cas,
ils se débrouillent comme ils peuvent avec ce qu'ils ressentent au
travail et ce que ça leur fait.
Mon
expérience de Pôle Emploi est ubuesque. Les procédures, les cases
dans lesquelles je ne rentre pas, les conventions… Bref ma
situation est un peu sac de nœuds. J'ai toujours eu en face des moi
des agents à l'écoute, qui essayent/cherchent les réponses. Qui
font leur boulot quoi. J'ai vu au fil des années dans mon agence,
là-bas dans le Finistère, les sourires se ternir un peu, les
épaules se voûter et surtout le turn-over s'installer.
Je
suis régulièrement furax après Pôle Emploi. Je n'y comprends rien
(mais eux non plus), j'y passe parfois un nombre d'heures insensées
à rencontrer plusieurs conseillers dans le même après-midi. Mais
je sais une chose, et c'est ce qui m'aide à ne jamais m'énerver
après la personne que j'ai en face de moi : ils ne définissent
ni la politique de l'organisation ni les procédures. Ils sont là
pour accomplir des missions avec les outils qu'on veut bien leur
donner. Ils sont, pour moi, un cas d'école de ce que j'apprends en
formation depuis toutes ces années sur la souffrance au travail et
les organisations de travail.Cela ne m'empêche pas d'être en colère, cela me permet juste de ne pas m'énerver. Surtout qu'en général ma colère est dirigée contre le système pas contre l'agent-e que j'ai en face de moi (bon, c'est arrivé deux fois que je fulmine mais j'avais une dame patronnesse paternalisante et condescendante en face de moi et ça, c'est insupportable).
En
plus, ce qu'ils traversent aujourd'hui, je l'ai éprouvé lorsque
j'étais éduc' sur le terrain à essayer d'écoper le Titanic à la
petite cuillère ou à essayer de faire entrer 1l d'eau dans une
bouteille de 50cl, car ce sont les analogies que nous utilisions.
Alors,
je ne prétends pas me mettre à la place de Vincent Dedienne et de
chaque chercheur d'emploi qui se retrouve à devoir être en lien
avec Pôle Emploi. Je suis à ma place et c'est bien suffisant.
Mais
seulement, avant de vous en prendre aux agents qui sont en face de
vous, dites-vous qu'ils ne sont décisionnaires de pas grand-chose et
que souvent, ils font du mieux qu'ils peuvent avec les moyens qu'ils
ont. En plus aujourd'hui, c'est la journée du câlin alors...
Edit : et vive Twitter! Hélène me signale cette chronique de Nicole Ferroni un peu sur le même sujet et que je trouve truculente.
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