mardi 17 mai 2016

Pourquoi NON ?

C'est Kevin qui s'amuse pendant les récréations à soulever la jupe de Marine ou de Léa. Parfois les instits voient quelque chose et crient « Kevin ça suffit! » et parfois les adultes ne voient rien. Marine ou Léa en ont parfois parlé à leur(s) parent(s). Les réactions vont de « je vais aller voir la maîtresse » à « mais c'est pour jouer » avec parfois « je vais aller voir la maman de Kevin à la sortie de l'école » « non s'il te plaît après il va encore plus m'embêter ». Dans le meilleur des scénarios, Kevin finit par arrêter parce que les adultes ont interdit/puni/crié. Marine ou Léa ne veulent plus trop porter de jupes à l'école parce que si ce n'est pas Kevin, y'a Paul qui les embête aussi. Ce sont des jeux d'enfants me direz-vous, pas géniaux mais bien inoffensifs. Vraiment ?


C'est Madame L. avec qui je parle pendant un entretien chez elle. Christopher, 5 ans, est là. C'est mercredi. A un moment donné, il vient se coller à sa mère puis lui saisit les seins à pleines mains en serrant un peu fort. « Aïe Christopher, tu me fais mal ». Christopher repart jouer en courant presque, comme il était venu. Étonnée, je demande à Madame L. si son fils fait ça souvent. Sa mère soupire et me dit que oui, qu'elle ne parvient pas à ce qu'il arrête. Naïvement je lui demande « vous ne lui dites pas non ? » … « il se met à crier et à faire des colères quand je lui dit non. Je n'aime pas... ». Et vous, votre corps dans tout ça ?

C'est Marie qui est en pleine puberté à 11 ans et dont la poitrine commence vraiment à se voir. C'est la fin de la journée et nous discutons avec les parents de comment cela se passe avec les enfants, l 'école et le reste. A un moment donné, Marie passe et son père lui demande de venir. En riant, il me dit « elle pousse des nénés, c'est presque une petite femme maintenant ». Marie cherche à esquiver en parlant de devoirs à faire mais son père l'interpelle « allez viens ici, vient montrer à Madame Serval », la mère rit et dit à son mari de laisser leur fille tranquille avec ça. Marie rentre ses épaules. 

C'est Killian qui du haut de ses 3 ans, commence à fouiller dans mon cartable alors que je suis en train de parler avec sa mère. Je le regarde et je secoue la tête. Il me regarde, hésite et recommence. « Killian, non. Tu ne fouilles pas dans mon cartable. Ce sont mes affaires et je ne suis pas d'accord », à nouveau il me regarde et recommence. Je lui saisis la main tranquillement, redis ce que je viens de lui dire en le regardant dans les yeux et referme mon cartable de l'autre main. Il me regarde sans trop savoir si c'est du lard ou du cochon. Il hésite à pleurer et regarde sans mère sans trop savoir. Je vous passe les détails mais quelques minutes plus tard, Killian est en train de gribouiller de bon cœur et sa mère me dit « vous êtes sévère avec les enfants Madame Serval ».

Des exemples comme ceux-là, j'en ai entendu chaque semaine pendant toutes mes années comme éducatrice. La difficulté à poser le non. Dire non, fermement, simplement, tranquillement, avec conviction, sans crier mais poser la limite et l'interdit : NON. 

 

Ce matin, il y avait une émission vraiment intéressante sur le harcèlement sexuel, avec entre autre comme invitée Marie Pezé (une grande Dame…). Une femme a appelé et a soulevé la question de l'éducation des enfants, de la manière dont les filles et les garçons étaient élevés. Elle disait, en substance, que c'était dès l'enfance que la question du respect, des limites et d'entendre le non se posait.
Du coup cela m'a fait remonter beaucoup de souvenir de discussions avec des parents, avec des enfants, avec toute la famille sur la question du non.
Ce qui ressortait le plus souvent des échanges et qui m'interpellait était que, aujourd'hui, les personnes ne savent plus dire « non » ou ne sont pas entendues lorsqu'elles le font. J'entendais que certains enfants n'aimaient pas qu'on leur pose une limite (au point d'en piquer des colères homériques). Pour les parents que je rencontrais, dire non était difficile voire infaisable. J'ai entendu plein de raisons et chacune faisait sens : on leur avait trop dit non quand eux était enfants voire cela se faisait dans la violence ; la peur que leur(s) enfant(s) croient que leur(s) parent(s) ne les aime(nt) pas ; le fait que ce ne sont que des enfants et qu'ils ont bien le temps ; la peur d'être jugés voire d'être assimilés à faire preuve d'autoritarisme ; leur donner ce que eux en tant que parents n'avaient pas eu ; que parfois tenir un non c'est fatiguant…

Dire non, c'est signifier des limites : les limites que l'on a pour soi, les limites posées par les autres ainsi que les limites (im)posées par la Société/les institutions.
Dire non, c'est poser un marqueur : là c'est possible (= oui), là on peut en parler (= peut-être, faut voir, on en reparle), là c'est pas possible (= non). Dire non, c'est se positionner face à une situation donné.
Dire non, ça rassure et ça protège (autant l'adulte que l'enfant).

Maintenant, il faut savoir le dire à bon escient de manière à ce qu'il soit crédible et entendu. Sauf que pour apprendre à dire non, pour apprendre à entendre non et apprendre à gérer la frustration qui peut en découler et bien il faut que, en tant qu'enfant, on nous ait dit non. Je disais ça quasiment à chaque fois aux parents : dire non à votre enfant c'est lui donner la possibilité d'apprendre à dire non aussi plus tard. Et c'est important d'apprendre à dire non (je ne parle pas du non chez les petits qui passent par une phase où le 1er mot du matin, toute la journée et jusqu'au soir est « NON », j'en entends qui soupirent là (courage, ça ne dure pas trop longtemps!!)...)

Mais dire non, cela veut dire aussi prendre le temps, si besoin est, d'expliquer en tant qu'adulte (pas s'excuser, par pitié!!) les raisons du refus et entendre la frustration que cela peut générer chez un enfant. Ben oui, sauf que vous voyez, aussi difficile que ce soit, un enfant apprend ainsi qu'il-elle n'est pas tout(e) puissant(e), qu'il-elle n'est pas celui-celle qui décide de tout et que certaines choses ne se font pas. Il y a des limites et des territoires. Il y a à respecter l'espace privé de chacun et l'expression de son propre refus.
Du coup, cela peut demander d'avoir à gérer et accompagner de sacrées colères d'enfants. Oui, c'est ainsi et oui, ça peut être totalement usant/épuisant.
Perso, je préfère un enfant qui se met en colère car très frustré par un refus mais qui apprend, qu'un adulte incapable d'entendre le non, qui ne sait pas faire face à la frustration et passe outre les limites des autres.

Je ne vais pas reprendre les exemple que je vous ai raconté en vous disant comment nous avons travaillé cette question mais à chaque fois, il y a eu beaucoup de discussions sur la valeur du refus, la manière de l'exprimer et la crédibilité qu'il avait (êtes-vous convaincu(e)s ou non de son bien fondé ?). Et nous parlions aussi beaucoup de la nécessité à respecter l'espace et le non des enfants particulièrement quand ils grandissent et deviennent ados (Marie par exemple).

C'est difficile pour moi d'écrire un texte simple, sans entendre en arrière fond tous les arguments que m'opposaient les parents au fait que dire non c'était pas bien et que ça bridait les enfants et que ça ne leur faisait pas du bien, qu'élever un enfant c'est pas le dresser (Il y a tout de même une fichue différence entre poser une limite et la coercition), etc. Chaque parent a son point de vue sur les limites et sur le non. Le mien s'appuie sur mon expérience de terrain (et de tata/amie/marraine/etc…).

Voilà ce que l'émission de ce matin m'a inspiré et que je vous déballe en vrac. Je vous invite vraiment à l'écouter ! C'était sur France Inter à 10h.

Tout ce que je vois, c'est que les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain et que l'éducation qu'ils reçoivent aujourd'hui structure les adultes qu'ils deviendront.

1 commentaire:

  1. Hello, Je pense que c'est une affaire de génération. Je fais partie sûrement de la dernière qui savait dire NON si j'en juge les jeunes parents qu'on a autour de nous. Maintenant savoir dire NON est aussi important quand on est adulte notamment quand on a des clients qui réagissent comme des enfants gâtés.

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