dimanche 8 avril 2012

Ne pas douter


Lorsque j'ai fait le choix de changer de vie, à mi parcours de vie, c'était pour réaliser un de mes rêves, pour vivre autrement et mieux, pour retrouver la santé : J'ai préparé ce projet, à minima. J'ai déménagé, démissionné et je suis arrivée où je voulais être. Le reste suivrait.

Je ne doutais de rien.

Les mois ont passé, je me suis installée, j'ai trouvé quelques marques. La maison ne désemplissait pas. C'était les beaux jours puis la période des vacances. C'était idyllique. La maison (installer, bricoler, décorer), le jardin (planter, biner, tondre, tailler, admirer), les journées passées dehors au soleil, les barbecues, les longues balades, aller voir les uns et les autres. Dormir, à nouveau. Respirer librement, à nouveau. Rire, à nouveau.
Je ne cherchais pas encore de travail, mais ça serait facile. Je pensais qu'en intérim, quand tu n'es pas regardante, tu trouves.

Je ne doutais pas.



L'automne s'est annoncé. Chacun a continué sa vie. La maison s'est vidée. Le jardin y est allé de son baroud d'honneur. Les jours raccourcissaient. Il a fallu ressortir les pulls, les chaussettes. La lumière était toujours aussi belle et l'arrière saison était juste magnifique.
Refaire le CV. Premières démarches vers les agences d'intérim, sans réelles inquiétudes. Pas vraiment de résultats, mais cela viendrait.

Je ne doutais pas vraiment.

Les frimas se sont installés. Allumer le chauffage, rentrer un peu de bois pour la cheminée, sortir les couettes épaisses. Plus de visites. La solitude.
Jours plus courts et l'envie irrésistible d'hiberner. Résister. J'ai toujours été comme ça : aux mois courts et froids, je ne fonctionne plus qu'en régime minimum.
Appels de la famille et des amis, « oui, ça va. J'espère juste trouver du travail bientôt ». Appel des anciens collègues « tout baigne, c'est le pied ! ».
Les jours se suivent et se ressemblent. Petit à petit, peiner à sortir du lit le matin « pour quoi faire ? ». Les contacts avec les agences d'intérim ne donnent rien, « c'est calme ».

Ne pas douter.

Certains proches sentent que quelque chose grippe. S'inquiètent ou simplement demandent, restent attentifs. Ils me connaissent, je peux me braquer si j'ai l'impression que les paroles sont intrusives. J'ai besoin d'espace. Ils me connaissent, je me tais plutôt que de dire que ça va mal, vraiment. J'édulcore.
Les contacts avec d'autres s'espacent voire disparaissent. C'est une réalité, quand tu pars, si tu ne maintiens pas le contact coûte que coûte, alors le tri se fait.
Je repense à ma vie d'avant. Le boulot gratifiant et dans lequel j'étais reconnue, les amis avec qui il était facile d'être en lien et d'organiser des choses à la dernière minute, la ville et tous ses attraits, l'argent, l'appart'...

Ne pas douter, vraiment.

Il y a bien quelques missions d'intérim, l'agroalimentaire et le milieu agricole. Entrée de plein pied dans un monde que je ne comprends pas. Sinon, entre deux missions, des semaines sans rien. Ne pas bosser, c'est bien sûr ne pas avoir de salaire, mais c'est aussi être en dehors. En dehors du rythme de la vie quotidienne, en dehors de la société pour qui la valeur travail est importante, en dehors d'un statut spécifique.
Et garder en ligne de mire : ces missions sont un moyen et non une fin.
Mois noirs et toujours noirs. Ne plus répondre au téléphone, sauf à certains. Accepter de lâcher certaines bribes mais à doses homéopathiques. Recevoir du soutien inconditionnel du cercle des plus proches.
Ne pas lâcher. Céder du terrain mais ne pas lâcher. S’agripper de toute la volonté possible qu'il reste, pour être là.
Chercher du travail puis arrêter de chercher. Puis chercher à nouveau.
Premiers feux de cheminée et quelques bulles de petits bonheurs successifs. En faire une parure qui réchauffe et qui rassure.

Surtout ne pas douter.

Ils y a les conversations au téléphone, les échanges Twitter, Skype, mails. Les amis qui sont présents ne sont pas forcément les plus proches physiquement, mais ils sont là. L'amitié (re)vient de là où je ne l'attends pas forcément, pas comme ça. Ces amitiés résistent, insistent, bousculent. Elles appellent, accueillent dans leurs maisons et te regardent dans les yeux pour te dire qu'elles ne doutent pas. Elles te disent qu'en chier, c'est normal, que ça ne fait pas de toi un échec sur gambettes.
Noël en famille, généreux en cadeaux et en affection, en tendresse et en soutien affirmé. La certitude de leur part que je fais ce qui est bon pour moi. Ils y croient, pour moi.
Nouvel an, seule à la maison. Ce qui était prévu n'a finalement pas lieu, pas l'énergie de trouver une solution alternative.
Faire le deuil. Faire le deuil de la vie d'avant, des amis perdus, d'un statut social. Devenir plus réaliste avec lucidité et pragmatisme. S'approprier ce qui est.
Je repense à ma vie d'avant, aux apéros début d'année, aux vœux échangés. Je repense à la tension permanente, aux nuits sans sommeil, aux pressions, aux difficultés, à la perte de repères. Je repense à la perte du plaisir de mon métier, aux remises en questions, aux médicaments pour tenir, à la sensation d'étouffement permanente.

Ne pas douter.

Trouver du travail. Accepter de me regarder en face, faire le bilan. Respirer à fond et avoir l'impression de me dilater.
Regarder Venus et Jupiter, la Voix lactée, Cassiopée. Même le ciel me dit que le travail n'est pas si loin.
Parler de ce qui est difficile. Partir pour de longues balades pour fatiguer le corps et aérer l'esprit. Entendre les oiseaux le matin. Remarquer que le jardin se réveille et me fait le cadeau de floraisons inopinées. Tailler, biner, désherber et réfléchir aux futures plantations.
Ranger les gros pulls, nettoyer la cheminée, couper le chauffage certains jours. 
Et puis, un jour, revenir du marché, pousser le portillon qui mène à la maison et réaliser. Je me sens chez moi et j'y suis bien. Ça n'est pas parfait et j'ai encore du chemin à parcourir mais c'est ici que cela se passera.

Je ne doute pas.

12 commentaires:

  1. Se sentir chez soi, se sentir à sa place, tel est le vrai but. Tu as raison de ne pas douter, tu es sur la bonne voie :)
    Tu parles des relations, je suis persuadée que le plus difficile est de trouver la bonne distance, celle qui satisfait les deux personnes en présence, ni trop près ni trop loin.
    Bien beau billet, miss frayer :)

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  2. J'ai toujours fait un parallèle entre ma période de chômage (18 mois) et une maladie grave (enfin, ce que j'en ai vu chez ma mère). Pas dans le fonds bien sûr, mais dans les dégâts collatéraux, à travers et dans le regard des autres. Il y a ceux que ça gène et met mal à l'aise, qui n'osent pas en parler et qui font comme si ça n'existait pas. Il y a ceux qui, au contraire, ne te parlent plus que de ça, ne te voient plus qu'à travers ça. Il y a tout ceux qui te prennent de haut, avec mépris et/ou pitié. Et il y a ceux qui trouvent le ton juste, entre soutien réel et distance raisonnable, pour te laisser respirer et se souvenir que tu n'es pas que ça... Au final, il y a ceux qui doutent de/pour toi, et ceux qui conjuguent amour avec confiance. Comme avec une maladie, le tri dans tes relations et amitiés se fait doucement, petit à petit, presque naturellement. Et de ce chemin de transition, ne reste alors que le meilleur...

    Quant à toi, un jour, il faudrait que tu mettes des mots sur ton métier d'avant (enfin, c'est la curiosité du lecteur qui s'exprime, tu fais bien comme tu veux, hein... sourire)

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    1. C'est juste ce que tu dis, au final, il ne reste que le meilleur du tout :-)pourtant, ce qui compte pour moi c'est le chemin, pas la destination.
      Un jour, oui, je le ferai...;-)

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  3. C'est vraiment une expérience très intéressante, que tu fais. A la fois, l'immersion dans un nouvel environnement, mais aussi, la mise en perspective par rapport à ta vie d'avant. Passionnant.

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  4. Je tourne autour de ce commentaire depuis un moment.
    Ce billet me touche, vraiment.
    Je me retrouve dans beaucoup de choses ici. L'envie de changer de vie, le chômage, la quête de sens, la solitude. J'ai expérimenté ou voulu expérimenter tout ça : chômage pour changer de métier, un immense tour dans mes baskets. Toujours envie de changer de vie, m'éloigner du tumulte du monde, de la bêtise, de la médiocrité. Faire un autre métier.
    Dans tout ça c'est le manque de sens qui me guide.
    J'ai une famille, des enfants super notamment, mais ça ne suffit pas. Ca ne suffit pas à donner du sens à la vie, à ce quotidien. Ca ne suffit pas à effacer l'impression qu'on est seul, accompagné mais seul.
    Les angoisses du boulot, la pression, ça me parle aussi. J'ai vécu le harcèlement. Et tout ça te donne encore plus besoin de trouver du sens.
    Je n'ai pas encore bien trouvé : o

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    1. Être bien avec soi pour être bien avec les autres...ça pousse à chercher encore et encore.
      Ce que tu dis est vrai : être seul(e) en étant pourtant entouré(e). Je suis sûre d'une seule chose : le sens ne peut être trouvé que par et pour soi. Après, être accompagné comme tu dis peut aider à pointer dans certaines directions mais au final, c'est toi qui trouve le décodeur de ta propre vie...je te souhaite de t'en approcher ;-)

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  5. Le chômage, je n'ai pas connu. Mais la solitude, oui. Un jour, on se sent bien, avec un sentiment de sécurité, tout en sachant que c'est toujours capable de vaciller et sombrer d'un coup. Mais bien beau billet oui, j'ai été tellement émue, que je croyais l'avoir déjà commenté... Je reviens aujourd'hui et m'aperçois que non. Ca doit être l'anesthésie ! :-)

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  6. J'ai souvent ce sentiment "et si tout lâchait, et si ma petite bulle heureuse volait en éclat"...J'imagine qu'il faut apprendre à vivre avec, que faire d'autre?
    Merci, ce que tu dis me touche. Cela me fait très plaisir que tu reviennes par ici :-)

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  7. Je n'avais pas déserté. Mais un peu angoissée, j'avais un peu baissé mon rythme de lectures bloguesques.

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    1. Welcome back anyhow ;-) J'espère que cela va mieux

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