Lorsque
je l'ai rencontrée la première fois, elle avait à peine cinq ans.
Elle vivait chez son beau-père à qui elle avait été confiée
après la mort de sa mère quelques années plus tôt. Il y avait
aussi une petite sœur, née du mariage de cet homme qu'elle appelait
« Papa » avec sa maman. Une vie simple mais si
chaleureuse.
Elle
savait bien pourquoi je venais, elle en avait vu d'autres avant moi.
Depuis d'aussi loin qu'elle s'en souvienne et même avant. Petit
gabarit, fine avec de grands yeux. Une grâce rare comme j'ai pu en voir
chez certains enfants. Quelque chose qui ne se décrit pas.
Paradoxalement, je ne me souviens pas de la couleur de ses yeux ou
d'autres détails.
Elle
m'observait pendant les salutations d'usages entre adultes, debout
derrière une chaise dont le dossier ne me laissait voir que des
bouts d'elle. Je me rappelle avoir posé ma sacoche rouge, être allée
la voir et m'être penchée. Ses yeux dans les miens et quelque chose
d'interrogateur, une attente.
Lorsque
j'allais dans les familles, je ne faisais que très rarement la bise
aux enfants, sauf lorsque vraiment ils me connaissaient très bien ou
qu'ils y tenaient absolument. Après tout, j'étais « l'éducatrice,
« la dame », « le service éducatif » mais je
n'étais pas de la famille. Je considère que faire la bise à un
enfant est quelque chose de personnel, d'intime presque.
Sinon,
le rituel était toujours le même « alors, comment on se dit
bonjour ? », parce que oui se dire bonjour est important
(au revoir aussi d'ailleurs). Serrer la main, faire un coucou de
loin, juste se dire bonjour ou alors mon petit truc à moi, ma
manière de leur dire bonjour, le « bonjour papillon ».
Elle a eu l'air étonnée, elle n'avait jamais entendu ça ! Ok
pour le bonjour papillon. Je lui montre avec un clin d’œil, on agite
nos doigts en s'effleurant à peine. Elle m'a alors laissé voir sa
lumière et son sourire a irradié. Le mien n'a pu que lui faire
miroir. Je suis devenue « Madame Papillon ». Cela a été
notre rituel pendant plus de trois ans.