mercredi 23 mai 2012

La septième minute

C'est lent et chaloupé. Une mélodie entêtante, glissée et heurtée. Un air de jazz au piano qui peu à peu te happe et ne te lâche plus.
Quelques hésitations, quelques langueurs puis à la septième minute et quelques notes, tout semble s'agréger et prend de l'ampleur, de la rondeur et de la grandeur. La mélodie t’attrape les tripes et t'emporte. Après, il suffit de te laisser guider dans les phrases musicales et l'intensité de cette beauté. Mais pour éviter que tu ne perdes pieds, il y a des ruptures de rythme, des moments d'épure et des cassures. Cela ressemble presque à des sauts de réalité. Puis, à nouveau, un peu comme s'il crochetait ton petit doigt avec le sien, il te ramène à lui et tu fais quelques pas musicaux de plus, presque inquiète qu'il ne te laisse aller.

Il en va de la vie du blog comme de ce voyage musical, enfin, en quelque sorte. Vous vous dites que je suis folle ? Peut-être un peu mais pas tant que ça. Et c'est bien de voyage dont il s'agit.

vendredi 18 mai 2012

Je l'appelais Miss Papillon (2/2)


Dans une situation comme celle-ci, une note (c'est le terme technique) circonstanciée et détaillée est adressée au juge des enfants. Avant, nous en avons parlé en équipe (chef de service, collègues, psychologue) longuement. Écrire une note oui mais quelles conclusions ? Continuer la mesure en cours ? Renforcer la mesure éducative ? Demander le placement ? Placement en urgence ou non ? La décision appartient au magistrat.

Je reviens sur ce que je sentais depuis longtemps. Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Qu'est-ce que je n'ai pas fait ? Étais-je trop proche ? Ma collègue détaille de manière très clinique nos interventions ainsi que les contacts pris avec l'assistante de service social, la PMI (protection maternelle et infantile), l'école, les écoles. Quelque part, cela me sort de ma spirale de doutes et m'aide à regarder presque froidement ce que nous avons fait, mis en place dans cet accompagnement.
L'éclairage de la psychologue est important. Perverse narcissique, relations toxiques, père sous influence, intégrité psychique, construction identitaire, individuation... Autant de mots et de concepts qui prennent tout leur sens et qui viennent légitimer certains de mes ressentis. D'autres sont d'un autre registre, n'appartiennent qu'à moi.

Après une très longue réunion et beaucoup d'échanges, de doutes, d'interrogations, notre chef de service a tranché. Demande d'audience en urgence aux fins d'envisager de confier la mineure Miss Papillon aux services de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). En langage ordinaire, demande de placement en famille d'accueil.

jeudi 17 mai 2012

Je l'appelais Miss Papillon (1/2)


Lorsque je l'ai rencontrée la première fois, elle avait à peine cinq ans. Elle vivait chez son beau-père à qui elle avait été confiée après la mort de sa mère quelques années plus tôt. Il y avait aussi une petite sœur, née du mariage de cet homme qu'elle appelait « Papa » avec sa maman. Une vie simple mais si chaleureuse.

Elle savait bien pourquoi je venais, elle en avait vu d'autres avant moi. Depuis d'aussi loin qu'elle s'en souvienne et même avant. Petit gabarit, fine avec de grands yeux. Une grâce rare comme j'ai pu en voir chez certains enfants. Quelque chose qui ne se décrit pas. Paradoxalement, je ne me souviens pas de la couleur de ses yeux ou d'autres détails.
Elle m'observait pendant les salutations d'usages entre adultes, debout derrière une chaise dont le dossier ne me laissait voir que des bouts d'elle. Je me rappelle avoir posé ma sacoche rouge, être allée la voir et m'être penchée. Ses yeux dans les miens et quelque chose d'interrogateur, une attente.
Lorsque j'allais dans les familles, je ne faisais que très rarement la bise aux enfants, sauf lorsque vraiment ils me connaissaient très bien ou qu'ils y tenaient absolument. Après tout, j'étais « l'éducatrice, « la dame », « le service éducatif » mais je n'étais pas de la famille. Je considère que faire la bise à un enfant est quelque chose de personnel, d'intime presque.
Sinon, le rituel était toujours le même « alors, comment on se dit bonjour ? », parce que oui se dire bonjour est important (au revoir aussi d'ailleurs). Serrer la main, faire un coucou de loin, juste se dire bonjour ou alors mon petit truc à moi, ma manière de leur dire bonjour, le « bonjour papillon ». Elle a eu l'air étonnée, elle n'avait jamais entendu ça ! Ok pour le bonjour papillon. Je lui montre avec un clin d’œil, on agite nos doigts en s'effleurant à peine. Elle m'a alors laissé voir sa lumière et son sourire a irradié. Le mien n'a pu que lui faire miroir. Je suis devenue « Madame Papillon ». Cela a été notre rituel pendant plus de trois ans.



jeudi 3 mai 2012

Quand l'âme erre (&) monte


Ça commence comme un friseli à la surface de l'eau, le bruissement d'une aile, un souffle dans le cou. C'est comme un frisson imperceptible qui en annonce les prémices.

Je peux le percevoir si je suis disponible à ça ou ne rien capter ou alors même l'ignorer. Cela peut arriver n'importe où et n'importe quand. En voiture, seule, accompagnée, sur la Ligne, dans les vestiaires, en soirée...

Mais cet appel ne se laisse pas écarter sans y revenir. L'imperceptible s'affirme et gagne en force. Il envahit tout le corps, démange les mains, crée l'impatience. L'indifférence n'y fait rien. Il finit par m'attraper toute entière et m'oblige à le reconnaître.