jeudi 21 mars 2013

D'ongles et de dents

Je la déteste. Je l'abhorre. Je la fuis. Je l'esquive. Je voudrais lui tourner le dos et faire comme si elle n'existait pas. Elle me fascine. Elle m'attire. Elle m'accroche. J'y reviens.
Ma formation en Gnourynquologie est une douleur permanente et un atterrissage violent dans un monde que je ne percevais pas. Je découvre le milieu universitaire dans sa dimension la plus détestable, à mes yeux.

Mon parcours de Licence, je l'ai fait en province. Les différentes matières que j'ai étudié étaient transmises par des enseignants qui étaient tous en activité professionnelle sur le terrain. Ils parvenaient à faire du lien constant entre ce dont ils nous parlaient et la réalité de l'exercice professionnel. Certains devant mes (nos) incompréhensions prenaient le temps d'expliquer autrement. Ils me (nous) laissaient le temps de dérouler la réflexion pour finir par accrocher ces fils de pensées qui donnaient du sens à la théorie et aux concepts. C'est comme ça que j'ai pu en intégrer un certain nombre et me les approprier. C'est comme ça qu'UE après UE je me suis imprégnée de tout un domaine que je ne connaissais pas et que j'ai validé chacune des matières, certaines correctement d'autres beaucoup plus que correctement.

Seulement voilà, la suite, le Master c'est auprès de la Chaire qu'il se fait, auprès de GnourynquologueSuprême et de ses disciples. Et là, tout change. Les formateurs sont des enseignants-chercheurs. Brillants tous. Ils ont publié des articles, contribué et contribuent à l'élaboration de courants de pensée dans le domaine. Ils sont de brillants chercheurs, oui. Ce sont des enseignants dans la pure tradition de l'université française. Élitistes, puits de science, intellectuels exigeants (toujours plus), condescendants pour certains, déconnectés du terrain. Et là, je peine.
Je savais bien que cela ne serait pas une balade de santé. Je savais que cela me demanderait du travail. Je n'imaginais pas que je me retrouverais plongée dans un monde si centré sur lui, intellectualisant, se gargagrisant* de jargon et tellement « nous, les Gnourynquologues, sommes entre nous ». Je ne suis pas formatée. Mon esprit ne fonctionne pas de cette manière. Je mesure tous les jours le gouffre abyssal de mon ignorance. En soi, l'ignorance ça se corrige. Et je m'y efforce tout en ayant l'impression que cela ne suffira jamais. Je me plonge dans des textes, des livres, des concepts, des auteurs totalement abscons. J'achoppe, j'erre, je souffre et je découvre. C'est à cela que sert une formation : apprendre. Seulement, je ne parviens pas à trouver du sens à ce que je fais. Parce que c'est si éloigné de ce que je veux devenir ensuite une fois diplômée que je suis perdue. Je veux pouvoir accompagner les personnes dans leurs difficultés lorsque je serai Gnourynquologue. C'est pour ça que j'ai fini par décider de poursuivre mon cursus.

Certains collègues de formation sont au fait des derniers ouvrages/articles/recherches. Ils citent les bons auteurs et les bonnes références. Ils se meuvent dans toutes ces connaissances scientifiques avec une apparente aisance. Là où ils roulent en Ferrari, j'ai l'impression de tenter désespérément de les suivre avec ma pauvre voiture à pédales.
Et le doute s'installe. J'ai toujours douté. Je n'ai jamais été une bonne élève et j'ai entendu toute ma scolarité « peux mieux faire ». Dès que cela devient trop formaté, logique, analogique, je coince. Alors, j'ai toujours douté de ma capacité à réussir des études. Bien sûr, j'ai passé ma licence et ça devrait me rassurer mais...
Nos enseignants-chercheurs sont formidables (sarcasmes intended) car ils ont des exigences colossales et attendent de nous que nous soyons à la hauteur. Ils nous traitent quasiment comme des doctorants. Et ma boussole interne s'affole : où ? Jusqu'où aller ? Continuer ? Arrêter ? J'avale des kilomètres de phrases, d'articles, de bouquins. Parfois je passe une heure sur un petit paragraphe pour en comprendre toutes les implications. Et je m'arrache les cheveux devant le jargon et le style alambiqué de nos chers scientifiques français. D'autres sont d'une limpidité incroyable et compréhensibles alors que les concepts sont tout aussi ardus. Quel besoin ont donc certains de rendre la Chose si compliquée ? J'ai toujours entendu que « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Non que leurs théories soient mal conçues. Elles sont juste obscurément expliquées.
Je vérifie tous les jours que dans notre système éducatif, la valeur de la chose se mesure à l'aune de sa pénibilité. Pour le dire autrement : plus tu en chies, mieux c'est. Sinon quoi ? Le diplôme n'a pas de valeur ? Quand je regarde comment cela se passe dans d'autres pays, les étudiants ne sont pas moins bons et pourtant les enseignants fonctionnent différemment, sans considérer qu'ils sont/ont LA connaissance. Le côté « je suis du sérail » me déstabilise et m’indispose.

Le couperet tombera à l'été lorsque j'aurais rendu les écrits que je dois produire pour valider les matières de cette année. Pas d'examens ni de devoirs sur table. Non, des travaux de recherche et des analyses fines. Il va me falloir être affûtée, pertinente, innovante, percutante, créative. C'est pas moi qui le dit mais nos chers enseignants-chercheurs. Et pas de seconde chance. Soit je valide soit je dois recommencer ces matières l'année prochaine. All over again !

Le découragement pointe son nez régulièrement. Pas à la hauteur, pas taillée pour, pas les épaules assez larges ni le cerveau assez grand. Et ça n'est pas une question d'intelligence, non.
Et ces petites phrases, au départ bien intentionnées, qui me minent « mais regarde, tu disais exactement la même chose pour les autres matières et tu as eu des super notes » ; « il suffit de travailler, c'est tout » ; « je n'ai aucun doute que tu réussisses » ; « organise toi dans ton travail et ça ira tout seul » ; …
Je ne sais pas si je suis combative jusqu'à la dernière extrémité mais ça commence à me chauffer. Je suis passée en mode monomaniaque : bosser, bosser, bosser. Je sais (pour l'avoir déjà vécu) que je vais devenir irritable, insomniaque, impatiente, impossible à supporter pour les proches. Et je vais douter, encore et toujours plus. Je ne suis pas sûre de poursuivre si je ne valide pas mais je ne suis pas prête à lâcher, pas tout de suite. Je tournais autour en me demandant par quelle face l'attaquer ? Eh bien, je ne tourne plus, je rentre dans le lard. J'ai décidé de planter mes pieds, mes mains, mes ongles, mes dents dans cette douloureuse saloperie et de ne pas laisser aller jusqu'à la date des rendus des écrits.
Mais bon sang, ça me paraît tellement hors d'atteinte...

* gargagriser : gargariser + griser 
 

8 commentaires:

  1. je n'ai qu'une chose à dire tiens bon, mais pas trop.... sans y laisser la santé. Laisse toi juste la chance de réussir et si ce n'est pas le cas, tu verras. Tout le monde n'est pas fait pour ce système là, c'est clair, c'est dommage qu'il faille en passer par là pour le but que tu cherches à atteindre.
    Je t'envoie des ondes et des bises d'encouragement, j'ai confiance en toi :) je comprends aussi que ce n'est pas de ça que tu doutes :)

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    1. J'aime bien ta formule "laisse toi juste une chance de réussir" : je prends!! Et merci...:-)

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  2. J'ai les deux formations : universitaire et école de commerce. En école j'ai eu beaucoup de praticiens qui ne donnait que du vent et des recettes mais pas le début d'une explication du fond des choses. En Université, même en licence, j'avais des gens de très haut niveau et je me souviens de ma première année sur les théories économiques qui était vraiment ardu. Mais cela m'a donné un fond de compréhension qui m'empêche de tomber dans le panneau des prêtres du néo-libéralisme et me permet de leur répondre et montrer la vacuité de leur argumentation.
    Vouloir n'avoir que des cours basés sur la pratique c'est comme si un physicien voulait travailler sur la mécanique cantique en ignorant la mécanique générale et l'électromagnétisme. A une époque où l'on affirme que l'on peut faire de la musique sans apprendre le solfège, on s'aperçoit que l'on a de moins en moins de gens avec une réelle compétence.
    L'apprentissage est ardu mais c'est ensuite que l'on trouve la satisfaction de faire face à des situations et de les analyser sans se tromper.
    J'ai un ami qui n'avait fait que l'école qui a voulu faire un master de droit. Il s'est vite aperçu que, contrairement à l'école de commerce et aux idées reçues, l'Université demande beaucoup de travail.
    Je conclurai en disant que la connaissance est l'un des rares chemin vers la liberté. Sinon on devient la proie de la pensée commune et moutonnière.

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    1. Je suis d'accord sur la nécessité à avoir un bagage théorique solide. Mes cours (en Licence) n'ont jamais été basés sur la pratique, en revanche les enseignants reliaient les concepts et les théories au réel. Ça n'empêchait pas le contenu des cours d'être ardu mais cela leur donnait un sens supplémentaire, une consistance autre.
      La connaissance est une chose, savoir la transmettre en est une autre...

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    2. Le problème est que tout le monde n'est pas Richard Feynman. Mais je préfère avoir quelqu'un qui a du fond qui ne se met pas à la portée de son auditoire qu'une outre pleine de vent qui a un cours agréable et très concret.
      Pendant mon insomnie, j'ai lu quelques articles de mathématique dont un que je n'ai pas compris (cela ne m'a pas permis de m'endormir ;-)). Je vais dès que j'ai un peu de temps aller creuser tout cela sur internet. Donc il n'y a pas de honte à avoir des difficultés à comprendre et d'avoir à travailler pour y arriver. Cela ne fait pas de nous des nuls.
      Feynman avait l'habitude de dire à sa petite soeur à qui il prêtait des bouquins de physique et qui avait des difficultés à comprendre qu'elle devait relire plusieurs fois le livre jusqu'à complète compréhension. Elle a ainsi suivi les traces de son génie de frère.
      Donc tu vas y arriver.

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  3. Cet article ne me laisse pas indifférent et à vrai dire je l'aime beaucoup. Après le bac, j'ai refusé une formation d'élite par choix et conviction. Une petite voix me disait : "Va à l'université, contrairement à ce que l'on te rabâche sans cesse, ce temple de l'éducation sera plus conforme à ce que tu es que Sciences Pô."
    Provocatrice cette petite voix non ? Et pourtant je l'ai écouté... Deug, Licence, Maîtrise, DEA, DESS et pour finir ingénieur au Cnam à Paris.
    Je suis, de fait, naturellement, un défenseur de la faculté. Je reconnais parfaitement tout ce que tu décris dans ce billet en parlant des savants, de ces êtres qui montrent qu'ils maîtrisent le savoir, de ce contexte qui te donne envie tous les jours de te rabaisser, et enfin de ces efforts qui paraissent monumentaux pour être "à la hauteur"... J'ai senti tout cela... j'ai vécu tout cela et un à un je les ai surmonté... comment ? avec une seule idée qui a nourri mon parcours : les autres, sans la rhétorique, ne valent pas plus que moi.
    A la faculté, je me suis enrichi de façon impressionnante en organisant moi-même mon travail, en expérimentant moi-même des méthodes de travail et surtout en ne me mettant qu'en compétition avec moi-même ! Je reconnais que plus tu montes dans les hautes sphères des niveaux (DEA ou DESS), plus tu te trouves dans un contexte où tu te frottes aux autres mais la faculté reste fondamentalement l'école où ton seul référent : c'est toi.

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  4. Moi, j'ai un cursus en apparence très classique et j'ai pourtant assez souvent eu l'impression d'être celle qui pensait différemment et qui ne rentrait pas dans les cases.

    Dites-vous que votre parcours, votre manière de fonctionner sont des AVANTAGES : parce que vous n'êtes pas formatée, que vous pensez différemment, que vous vous distinguez des autres. N'en soyez pas complexée et appuyez-vous dessus, c'est un point fort ÉNORME. Là où les autres sortiront un discours "mouton", vous, vous aurez une perspective et une analyse intéressantes et, finalement, peu importe s'il vous arrive de ne pas citer l'Article Majeur.

    Je sais d'expérience que c'est plus facile à dire qu'à faire, mais faites-vous confiance et dites-vous que l'université (contrairement aux concours) est aussi un espace pour les gens comme vous et, surtout, qu'elle a besoin de vous pour lui secouer les puces et l'empêcher de ronronner !

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    1. Merci Lina pour votre, allez TON, commentaire qui me fait du bien :-) J'ai parfois tellement l'impression de devoir me formater pour réussir ce cursus tout en sachant que je lâcherai ce formatage dès que j'aurai (si j'ai) mon bout de papier en poche, parce que je sens bien que cela me sera inutile dans mon futur exercice professionnel (d'être formatée)...
      Et bienvenue ici :-)

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