vendredi 9 août 2013

Lâcheté ordinaire

Elle a entre 45 et 60 ans je dirais. Le visage rond, les yeux en amandes, les pommettes hautes, la peau ridée. Burinée par le grand air, les soucis et la misère. Elle n'est pas bien grande et assise sur cette caisse en plastique elle parait même ratatinée. La tête recouverte d'un fichu marine avec des fleurs. Elle doit venir de quelque part du centre de l'Europe ou des Balkans. Elle est toujours au même endroit à chaque fois que je viens faire mes courses, quelque soit l'heure. Le même endroit, le même carton avec quelques mots écrits au marqueur noir et qui s'abîme avec le temps qui passe. Elle interpelle parfois dans un français sommaire et teinté d'un accent que je ne reconnais pas. Elle tend la main, parfois. Une main usée, râpée, enserrée dans une mitaine en laine, ravaudée et de couleur indéfinissable. Elle se tait, souvent. On se croirait presque dans Germinal.
Et nous, on passe à côté en détournant le regard souvent. Une de plus. Il y en a tellement. Parfois l'un ou l'autre d'entre nous en sortant lui dépose subrepticement quelques provisions. Qui du lait, qui un sandwich, qui du pain ou quelque chose à boire. Ou quelques pièces, rarement autre chose que des centimes à en juger par le contenu de sa coupelle. Personne ne la regarde vraiment en face ni dans les yeux. Moi la première. Aujourd'hui, j'ai découverts qu'Elle a des yeux bruns clairs et un sourire édenté. Elle exprime sa reconnaissance de ce qui lui est donné. Mais reconnaissance de quoi ?!! Elle devrait être en colère, nous alpaguer et nous mettre face à sa réalité. Au lieu de ça elle remercie avec le sourire. AVEC LE SOURIRE !

Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond putain ?! Comment en sommes nous arrivés à passer à côtés de ces personnes, jeunes, vieilles, hommes, femmes, d'ici et d'ailleurs, sans plus les voir, sans vouloir ne serait-ce que les regarder ?!
Je ne vais pas faire d'angélisme en disant qu'il faut accueillir tout le monde, que le capitalisme c'est mal, que c'est la crise ma pov' Lucette ou que l'on vit dans le pays des Droits de l'Homme ou dans un pays de merde, au choix. Je sais bien que c'est plus compliqué que ça. Je sais que beaucoup rament pour joindre les deux bouts et se débattent pour garder la tête hors de l'eau.
Mais bordel ! Comment en sommes nous arrivés là ? Comment en 2013 peut-il y avoir des personnes qui peinent à manger à leur faim tous les jours ? Comment est-ce possible au milieu de cette gabegie colossale alors que des stocks de nourriture sont détruits chaque jour, que des producteurs d’œufs, de viande, de légumes, de fruits détruisent des stocks et ne parviennent même plus à vivre de leur production ?! Oui, je sais : on produit trop, les lois du marché, tout ça... Merde, y'a pas moyen que ça change un peu ? Que nous redevenions humains ?

Cette femme n'est que la partie émergée de l'iceberg de la misère. Il y a quantité de personnes qui se posent la question de leur subsistance bien avant la fin du mois mais elles sont invisibles car ont un « toit » sur leur tête ou se cachent pour échapper aux regards, à l'administration.
J'en entends me dire : oui mais il y a des aides, elles en profitent bien, elles utilisent le système. Ah oui ? Allez leur demander ce que cela fait de dépendre du bon vouloir d'autres personnes pour juste survivre. De dépendre de la charité alors que tout ce qu'elles veulent c'est vivre du fruit de leur travail. Question dignité, je vous jure, ça se pose là et c'est dur à supporter. Ça n'est pas moi qui le dit, c'est ce que j'entendais lorsque j'allais sur le terrain. Cela remonte à deux ans mais j'ai plus l'impression que ça a empiré qu'autre chose. D'autant que je ne voudrais pas dire mais question gestion cohérente des aides publiques ça se pose là (mais bon, c'est un autre sujet). Et ne me parlez surtout pas d'assistanat car je risque de perdre mon sang-froid...

Remarquez, je fais partie de nous qui détournons le regard et contribuons à faire de toutes ces personnes des fantômes, des silhouettes monotones et monochromes que l'on ne voit plus. Qui ne sont plus que des ombres furtives dans notre champ de vision périphérique.
L'argent, je n'ai rien contre. Les personnes qui en gagnent non plus. Là où je suis perdue c'est lorsque cela devient un but en soi. Plus, toujours plus et encore plus. Mais pour quoi faire ? Il y a bien un moment ou, selon ses besoins et ses envies, on en a assez pour vivre vraiment bien, non ?
Je suis née du bon côté de la barrière. J'ai juste tendance à l'oublier ou à le perdre de vue, me perdre de vue.
Manque de courage. Ne serait-ce que de m'arrêter, la regarder et parler avec elle pour connaitre son histoire. 
 
Petite chronique de ma lâcheté ordinaire...

1 commentaire:

  1. Oui, nous sommes des lâches ordinaires, les pauvres sont nombreux et pas seulement en France, je rentre du Canada, où ça m'a semblé pire ou plus visible ? Pour répondre à ceux qui pensent que ces gens profitent du système, écoutez Clarika:
    http://youtu.be/0SF9pMjfrpI

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