lundi 7 octobre 2013

Parts de Vous : Elisabeth

Vous connaissez "Parts de Vous" et vous vous exprimez régulièrement avec sensibilité, force, délicatesse, talent et conviction. C'est ce que j'apprécie tant dans vos écrits.

Lorsque j'ai reçu le texte d'Elisabeth, je me suis retrouvé plongée dans ma vie de jeune adulte. Pas du tout parce que j'ai vécu la même chose, non, mais parce que cela m'a renvoyé à certains événements et aux choix que j'ai pu faire alors. Et cela ravive cette question qui jamais ne me quitte : qu'est-ce qui fait que l'on arrive à prendre certaines décisions (salutaires) à certains moments alors même que les circonstances et qui on est à ce moment là pourraient nous entrainer résolument sur une autre pente, plus négative ou nocive... l'instinct de survie? Le libre arbitre? La raison? 

Pour l'instant, ce sont les mots d'Elisabeth qui comptent et la force de vie qui s'en dégage.  Elle a accepté que les commentaires soient ouverts mais n'y répondra pas forcément tout de suite.
"Novembre 1985. J'ai 12 ans et je suis en 5eme dans un collège de quartier ni vraiment bourgeois, ni tout à fait populaire. Les restos du cœur n'existent pas encore, et sur les ondes Balavoine chante Sauvez l'amour.

Ma vie d'alors est passablement compliquée, et je passe bien plus de temps à cacher des secrets d'adultes qu'à vivre. Déjà à cet âge je ne suis pas très sociable. Mais j'ai une amie. De celles qui vous éclaire de l'intérieur, par sa seule présence.

Nous venons toutes deux de familles atypiques. Les étiquettes nous collent aux baskets et nous les piétinons avec rage. Je sais depuis le premier jour que chez elle tout n'est pas rose. Elle a deux ans de plus que moi, et certains de ses amis sont bien plus âgés encore. L'âge des motos, des tatouages, et des cigarettes roulées.

Au fil des mois, se crée une passerelle entre plusieurs mondes. Je vais emprunter assez souvent la passerelle vers les copains plus âgés. Découvrir le plaisir des pointes de vitesse à moto, sans casque. Sans se tenir. Les slaloms à contre-sens sur l'autoroute. Imiter la signature de ma mère ; tailler les cours à la barbe des surveillants et essayer sans succès d'apprécier le goût du whisky.

Depuis quelques semaines, néanmoins je vois mon amie changer, elle maigrit à vue d’œil, et sa lumière semble vaciller. De mon côté mes prises de risques augmentent, je vais au conflit systématique. Je n'existe que dans la rage. Aussi quand il est question de rejoindre les copains plus âgés au squat je n'hésite pas. Je pense même essayer ces fameuses cigarettes, après tout pourquoi pas. Cela ne peut pas être pire que leur mauvais whisky.

Mais quand je les rejoins ce jour là, elle est déjà partie. Près d'elle abandonnée une seringue dont quelques gouttes perlent encore. Elle respire, sourit, mais la personne que je connaissais n'est plus là. Et j'ai beau la secouer, rien n'y fait. Elle ne VEUT pas revenir.
Subitement je vais voir. Vraiment. Les yeux vides, les mains qui tremblent un peu, juste un peu, le matelas répugnant de crasse posé à même le sol, ces sourires qui n'en sont plus depuis un moment déjà, les bouteilles vides qui jonchent le sol. Et je regarde mon amie, sachant que je ne peux rien faire. Sur ce chemin là, je ne peux pas aller.
Je finis par me laisser tomber à côté d'elle. Anesthésiée. Ne pouvant plus penser. C'est là que F va me tendre une autre seringue. Remplie.

Encore aujourd'hui j'ignore pourquoi j'ai refusé. La peur, sûrement. De perdre complètement pied. La seule chose qui me restait c'était le contrôle. Connaître les secrets, jongler avec les vérités. Le contrôle. Aussi dérisoire soit-il ...cette drogue l’annihilait.

Ce jour là, j'ai compris que dans ce vieux hangar rouillé je ne pouvais rien contrôler. Pas même ma peur. Celle qui m'a fait fuir.

Un mois plus tard. Elle quittait le collège, officiellement c'était dû à une mutation de sa mère ailleurs. Officieusement, personne ne savait comment gérer sa mutation à Elle.

J'ai appris que le contrôle est illusoire. Et vital. Tenter de tout prévoir, pour pouvoir s'adapter à l’imprévisible. Et lâcher les mains. A contre-sens du monde.


Partir effacer sur le Gange
La douleur
Pouvoir parler à un ange
En douceur
Lui montrer la blessure étrange
La douleur
D'un homme qui voudrait trouver
En douceur
Au fond de lui un reste de lueur
L'espoir de voir enfin un jour
Un monde meilleur

Balavoine "





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